EL PAÍS

Le président du parti Le Pen : « Il y aura une motion de censure, sauf miracle de dernière minute »

Le camion de déménagement s'apprête à rentrer à Matignon, siège du gouvernement français, 90 jours seulement après avoir déchargé les meubles de son locataire actuel, Michel Barnier. Ce lundi s'achève le délai fixé par le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen pour que le Premier ministre accepte ses exigences budgétaires. Dans le cas contraire, lui a rappelé dans la matinée Jordan Bardella, président du parti d'extrême droite, ils voteront une motion de censure pour le renverser : « Sauf miracle de dernière minute, ce sera le cas. »

Barnier a fait des concessions au RN jusqu'à la dernière minute : la dernière, sur le remboursement des médicaments qu'il voulait supprimer pour économiser. Mais cela n’a pas suffi à convaincre Le Pen d’approuver les budgets et d’éviter le scénario d’une motion de censure. Finalement, le chef du gouvernement a décidé d'activer l'article 49.3 de la Constitution, qui lui permet d'approuver les comptes par décret. Un extrême qui activera également la motion de censure de la gauche, avec un éventuel soutien de l'extrême droite. L'initiative, en tout cas, n'a pu être votée que 48 heures après son dépôt au siège du Parlement. Autrement dit, jamais avant jeudi. C'est désormais la marge dont disposerait Barnier pour tenter de convaincre Le Pen, qui réclame une augmentation des retraites équivalente à l'inflation à partir de janvier prochain.

Barnier avait convoqué à 13h45 les présidents des groupes parlementaires qui composent le Gouvernement. La réunion a été la dernière occasion de trouver une solution consensuelle qui permettrait de céder à certaines demandes de Le Pen sans donner l'impression d'une évidence, à savoir que le gouvernement est aux mains de l'extrême droite depuis sa naissance. Le Pen a remporté une victoire importante la semaine dernière lorsque Barnier a annoncé qu'il n'augmenterait pas le prix de l'électricité, renonçant ainsi à plus de 3 milliards de dollars de revenus supplémentaires pour combler le trou budgétaire de 60 milliards que le gouvernement doit combler. En outre, il a également obtenu la promesse que l'assistance médicale gratuite aux migrants irréguliers serait réduite. Mais le leader d’extrême droite souhaite également des concessions sur le remboursement public des médicaments et la revalorisation des retraites. C’est-à-dire des enjeux liés au pouvoir d’achat des Français.

Bardella, tête d'affiche des dernières élections législatives, a donné à Barnier jusqu'à 15 heures pour modifier complètement le projet de budget adopté la semaine dernière par une commission mixte de députés et de sénateurs, parmi lesquels il dispose de la majorité absolue. « Mais j'ai peu d'espoir qu'il soit illuminé par la grâce », a-t-il déclaré dans une interview. Tout comme les marchés, qui ont débuté la journée nerveusement. L'écart de taux entre la France et l'Allemagne se creuse à nouveau, s'établissant à près de 86 points de base contre 81 à la clôture de vendredi.

Le Nouveau Front Populaire, le dispositif électoral qui a rassemblé toute la gauche lors des dernières élections, a déjà annoncé que si les budgets sont approuvés par décret, il déclencherait la motion de censure. Et l’extrême droite a confirmé que, dans ce cas, elle le soutiendrait, sans se soucier de l’étrange alliance qui se formerait. La clé de la survie de l’Exécutif est donc d’éviter de recourir à la méthode communément appelée 49.3 (d’après l’article de la Constitution) et d’essayer de gagner du temps en soumettant les budgets au vote du Parlement. Mais si cela n’était pas possible, si la gauche et le Rassemblement national, premier groupe à l’Assemblée, unissaient enfin leurs voix, le gouvernement tomberait. Ce serait la première fois que cette formule serait utilisée depuis la chute de l'exécutif de Georges Pompidou en 1962. Le gouvernement Barnier deviendrait alors le plus court de l'histoire de la Ve République.

Cette situation chaotique est le résultat des dernières élections législatives, au cours desquelles le Parlement a été fragmenté en trois blocs presque égaux. Le Nouveau Front populaire (NFP), l'alliance composée de la France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, de socialistes, de communistes et d'écologistes, a remporté 193 des 577 députés, mais est loin d'avoir obtenu la majorité absolue de 289. Le bloc présidentiel, composé de trois partis de centre et de centre-droit, a obtenu 166 ; et le Rassemblement national (RN), d'extrême droite, 126. Le parti de Le Pen, bien qu'il ait terminé troisième dans ce système de blocs, est devenu l'arbitre de la compétition lorsque le président Emmanuel Macron n'a pas trouvé de majorité absolue stable au Parlement.

En cas de censure du gouvernement Barnier, Macron, complètement hors jeu dans la politique nationale et qui a entamé lundi un voyage en Arabie Saoudite, devra nommer un nouvel exécutif, chose très compliquée compte tenu de cet équilibre parlementaire.

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