Sylvie et Patrick Quibel, créateurs de ce verger, dans une image de 2019.

Au jardin Plume, une orgie de verdure en Haute-Normandie

De larges étendues de seigle, de sorgho, d’avoine et d’orge ondulent en rythme de part et d’autre de la D13 après la déviation de Tourville-La-Rivière qui mène au jardin de la Plume. Cela fait un peu plus de deux heures que nous avons quitté Paris pour suivre le cours de la Seine vers la Haute-Normandie. L’autoroute nous prive des méandres du fleuve, mais en échange elle nous prédispose de manière très cinématographique – comme dans des titres de générique de plus en plus explicites – à la personnalité du paysage dans lequel pénètre la voiture. Le littoral de la Manche est à deux pas de la destination : Dieppe, Deauville, Le Havre… Répondant à la mer, la cadence d’une douce marée de cultures fourragères bercée par la brise berce le regard des deux côtés de la mer. route. Il semble que nous les parcourions au ralenti, entourés du murmure silencieux qui s’écrase sur l’endroit où les vagues de la mer du Nord se brisent et renvoie son sourd écho à l’intérieur des terres.

Un panneau calligraphié sur un panneau indique l’accès au Jardin de panaches, sur la commune d’Auzouville-sur-Ry. Dès que nous l’avons traversé, nous avons retrouvé Sylvie et Patrick Quibel, créateurs de ce jardin qu’ils ont commencé à façonner en 1996. Elle sélectionne les graines sous le porche de la maison des récoltes. En face, il dispose des plants d’aromates et de vivaces en pépinière. « Vous êtes chez vous », disent-ils en désignant une ouverture dans une haie de hêtres impeccablement taillée. Il est clair qu’ils préfèrent que nous fassions l’expérience du jardin plutôt que de théoriser à son sujet. Dès que vous franchissez la haie, vous comprenez pourquoi.

Le Jardin des Plumes fait partie de ces lieux qui n’apparaissent pas dans la plupart des guides de voyage et auxquels photos, récits et chroniques ne rendent pas justice. C’est un endroit pour le ressentir, pour le vivre. Sa mise en page bénéficie d’une approche compositionnelle virtuose passée au filtre de la fantaisie. Le socle, impeccablement exécuté, est celui du jardin à la française classique : perspectives rectilignes, parterres de fleurs, symétrie, bassin géométrique qui reflète le ciel comme un miroir, topiaires, haches… Le couple Quibel embrasse ces influences et les exécute avec savoir-faire. pour ensuite les faire sauter dans les airs. Connaissant la brise constante dans ces prairies proches de la mer du Nord, ils décidèrent de s’allier avec elle pour créer un jardin en perpétuel mouvement.

Patrick et Sylvie proclament la merveille expressive de la tonte, une humble ressource qu’ils utilisent pour créer la base de l’aménagement du jardin avec rien de plus que de l’herbe, des herbes folles et de tendres prairies indigènes tondues à différentes hauteurs. Sur cette base, comme pour tenter de supprimer la formalité de la forme, ils laissent l’anarchie envahir là où ils ont préalablement ordonné, taillé, clôturé et tondu, donnant carte blanche aux graminées et aux plantes vivaces pour s’exprimer à leur guise.

Une brume de miscanthus et de stipas

Les Quibel maîtrisent magistralement le langage végétal. Et créer une orgie de verdure comme le jardin Plume — qui fermera ses portes au public le 15 octobre jusqu’au printemps prochain, plus précisément jusqu’au 8 mai 2024 — nécessite une connaissance approfondie des espèces : comment elles se comportent, comment évoluent, que peuvent-elles faire ? être attendu de chacun d’eux… Ainsi, le caractère capricieux et incontrôlé des plantes herbacées géantes et des plantes vivaces délibérément choisies par Patrick et Sylvie dynamisent la rigidité du jardin du XVIIe siècle et donnent à leur création un caractère absolument avant-gardiste. . .

Dans le jardin d'été, dans des caissons bordés de haies de charmes, crocosmias, dalhias, hémérocalis, rudbeckias, tournesols, capucines et coquelicots s'épanouissent en rouge, or, orange, jaune et cramoisi de juin à octobre.

Légères et souples, les touffes d’herbe sont transparentes à la lumière du jour, générant une sensation de brouillard éthéré. Un délire indomptable de miscanthus aux pointes argentées, de stipas et de calamagrostis se balance sans contrôle. Les euphorbes, allium, stachys, dahlias, zinnias, primevères, rhinantus et salvia envahissent tous. Un dialogue s’établit entre eux qui multiplie à l’infini le potentiel plastique d’une végétation explosive et colorée touchée par la lumière filtrée de Normandie et une douce brise qui ne cesse de s’exprimer. « On se sent dominé par les plantes et des souvenirs d’enfance reviennent », raconte Patrick Quibel.

Les espèces sont choisies et localisées de manière à ce que la transition entre les saisons reproduise dans le jardin Plume la douce pulsation du murmure de la mer. De l’automne à l’été, les plantes herbacées sélectionnées pour leur couleur et leur période de floraison donnent un rythme qui ne s’arrête pas. « On provoque cette fusion pour que la cadence se fasse naturellement », explique Patrick Quibel. « Que les zinnias s’emparent doucement des lupins ; que les plants de tabac émergent progressivement d’un tapis d’aspérules à la fin de leur floraison. Laissez coquelicots, nigelles, molènes, fenouils et aneth se promener dans tous les coins et recoins… Nous aimons cette abondance qui semble spontanée.

Un simple bassin à chasse d'eau au niveau du pré organise l'espace central du jardin Plume.  Autour, les pommiers créent un environnement ombragé propice à la détente et à la contemplation.

Ce mélange libre de graminées et de vivaces qui fleurissent tout au long de l’année et prend le relais est la grande contribution du jardin Plume. Sans oublier le bassin miroir au ras de la prairie, sublime dans sa simplicité. Ou la grande vague de buis, façonnée sans motif, taillant année après année ses crêtes acérées. Une nappe d’eau et un topiaire – encore une fois redevables au jardin classique à la française – utilisés avec soin qui sont essentiels au caractère avant-gardiste de cet espace.

Dans un jardin, les éléments matériels et intangibles sont tout aussi vitaux. Le jardin Plume est fait de textures et de matières. Mais aussi de lumière, de dynamisme, de mouvement, de rumeur, d’antagonismes… D’audace, de sensibilité, de connaissance historique, d’audace, de curiosité, d’une profonde maîtrise du règne végétal… De fureur contenue par commande; d’ordre choqué par la fureur.

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